«Imitation Game », ou « Le Jeu de l'imitation » sort sur les écrans français : L’occasion de découvrir, au-delà de l’approche toujours réductrice d’un film hollywoodien, la vie et les travaux du célèbre mathématicien et cryptanalyste anglais Alan Turing. Hommage à un génie trop resté dans l’oubli.

Frédéric Hourdeau

News

le 24/01/2015 à 23h50

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Ce mathématicien génial, esprit universel méconnu à l'exception des scientifiques, a enfin son heure de gloire avec un film hollywoodien, Imitation Game. Mathématicien, héros (longtemps oublié) de la Seconde Guerre mondiale, il a aussi contribué à accélérer la victoire des Alliés en cassant les codes allemands.

Le film est une fiction centrée autour des moments clés de la vie de Turing, de sa triste adolescence à la fin de sa vie, condamné pour homosexualité, en passant par son triomphe avec l'invention de la «Bombe » électromécanique.

Durant la Seconde Guerre mondiale, Alan Turing et son équipe de décodeurs aident en effet les Alliés à « craquer » les codes de la machine à coder allemande, Enigma, dans une véritable course contre la montre.

Le groupe de mathématiciens, de linguiste, de champions d'échecs et d'agents secrets ainsi constitué à Bletchley Park va bénéficier de l'appui  sans limite du Premier ministre Winston Churchill.

Le film « Le jeu de l’imitation » nous plonge ainsi dans le début des années 1940 : Hitler et les nazis ont fait main basse sur une grande partie de l’Europe. À Londres, le mathématicien prodige Alan Turing est embauché par l’armée britannique pour intégrer les rangs d’une brigade de spécialistes chargée de décrypter Enigma, le code radio des nazis.

De la mise au ban de la société à une réhabilitation tardive :

Après un long silence sur ses travaux et son action en faveur de la lutte contre les nazis, Alan Turing est sorti petit à petit de l'anonymat pour être élevé au rang de génie et de martyr de la lutte pour les droits des homosexuels.

En 1986, une pièce de théâtre jouée en Angleterre, Breaking the Code, puis sa version télévisée constituent les premières étapes de la réhabilitation.

En 1999, Time le place parmi les 100 personnes les plus importantes du XXe siècle.

Le film insiste sur le suicide de Turing, à l'aide… d'une pomme empoisonnée au cyanure (curieux !), le 7 juin 1954. Il meurt en effet à 43 ans dans des circonstances encore plus que mystérieuses…

Dans les années 1950, l’homosexualité d’Alan Turing lui avait valu des poursuites judiciaires.

Il avait été condamné deux ans avant sa mort pour « outrage à la pudeur » suite  à une relation avec un jeune de 19 ans.   

Le Premier ministre britannique Gordon Brown présentera  ses excuses pour les poursuites exercées contre lui. Puis un hommage très remarqué du président américain Barack Obama le rangera  aux côtés de Newton et de Darwin, parmi les plus grands scientifiques britanniques.

Ultime geste, en réponse à une pétition lancée par un informaticien, Elizabeth II lui accorde enfin une « grâce royale» en 2013.

L’auteur du texte fondateur de l’informatique :

Alan Turing est l’auteur, dans les années 1930, d’un texte fondateur de l’informatique et  pose les bases des concepts de programmation, ce que l’on nommera par la suite la machine de Turing, l’ancêtre des ordinateurs.

Alan Turing est, sans aucun doute, l’un des grands esprits scientifiques du XXème siècle. Peu d’autres ont abordé, avec autant de succès, des domaines aussi variés.

Pionnier de l’informatique, il écrit quelques-uns des premiers programmes informatiques et invente l’idée d’intelligence artificielle (1).

Il est l'auteur, en 1936, d'un article de logique mathématique qui est devenu plus tard un texte fondateur de la science informatique.

Pour résoudre le problème fondamental de la décidabilité en arithmétique, il y présente une expérience de pensée que l'on nommera ensuite machine de Turing et des concepts de programmation et de programme qui prendront tout leur sens avec la diffusion des ordinateurs, dans la seconde moitié du XXème  siècle.

Avec d'autres logiciens (Church, Kleene, etc.), Turing est ainsi à l'origine de la formalisation des concepts d'algorithme et de calculabilité, qui fonderont cette discipline.

Turing, en se demandant s’il est possible de calculer par des moyens purement mécaniques définit les bases de la science informatique.

Ses travaux des années 30 ont d’ailleurs posé les fondations théoriques de la notion de calcul tel qu’il est désormais modélisé en informatique moderne notamment grâce à ce qui s’appelle aujourd’hui la «machine de Turing» : Il découvre qu’une machine peut s’exprimer dans un langage simple et qu’elle ne peut répondre à toutes les questions «posées».

La science de la compréhension du calcul au service du décryptage :

Durant la seconde Guerre Mondiale, il va jouer un rôle clef dans le centre du chiffre britannique Bletchley Park, spécialisé dans le cassage des codes secrets allemands, en particulier le système Enigma.

Ses découvertes permirent, selon plusieurs historiens, de raccourcir la capacité de résistance du régime nazi de deux ans.

Turing se demande ensuite si cette capacité qu’ont les machines à pouvoir calculer par de simples opérations font d’elles des êtres limités ou au contraire, si elles pourront un jour atteindre voire dépasser les capacités des hommes.

Les bases de l’Intelligence artificielle :

C’est la question de l’Intelligence Artificielle sur laquelle il propose le fameux «test de Turing» (1) où l’on doit deviner si son interlocuteur est un humain ou une machine.

Turing va d’ailleurs plus loin en se demandant si l’autonomie des machines peut se manifester, comme pour les organismes vivants, par un engendrement mécanique de leur structure : c’est la question de la morphogenèse, des modèles de morphogenèse du vivant conduisant aux « structures de Turing ».

Après la guerre, il travaille sur un des tout premiers ordinateurs.

Dans tous ces domaines que sont l’informatique fondamentale, la cryptographie et l’intelligence artificielle, Turing a eu une influence considérable. S’il reste encore méconnu du grand public, Turing est le premier scientifique à voir que la cybernétique (informatique et automatique) est une discipline qui va totalement modifier la vie des hommes.

(1)           Voir notre article :

L’intelligence artificielle « Eugène » passe avec succès le « Test de Turing ». Une première dans l’univers informatique et la compétition homme-machine ! - News - publié le 12/06/2014 Eugene Goostman n’est pas une personne (en l’occurrence un garçon de 13 ans) en chair et en os mais c’ est le nom d’une « intelligence artificielle » qui vient de passer pour la première fois avec succès le test de Turing. Ce supercalculateur a réussi à se faire passer auprès de juges pour un enfant de 13 ans.