C’est ce que laisse entendre Boris Beaude, chercheur au sein du laboratoire Chôros de l'École Polytechnique Fédérale de Lausanne, qui prévoit sa « fin » annoncée (à plus ou moins long terme !). A moins que…

«Comment les États-Unis ont presque tué Internet - et pourquoi ils le peuvent encore », c’est le  titre de couverture du magazine américain Wired, dans son édition de  février 2014.

De son côté, Boris Beaude, chercheur au sein du laboratoire Chôros de l’Ecole de Lausanne, analyse dans son dernier essai « Les fins d’internet » paru au début de l’année 2014 aux Éditions FYP, les raisons qui en font préfigurer la disparition, et présente quelques pistes qui permettraient de le sauver.

Il y annonce les « fins d’Internet », comme autant de mises en cause quasi définitives des valeurs qui ont porté la création et développement du réseau mondial :la liberté d’expression, la résilience, l’abolition de l’espace,l’ intelligence collective et partagée, la gratuité et la décentralisation.

La thèse : Trente ans après sa création, les bases même d’Internet se trouvent confrontés à des défis importants que nous ne mesurons pas encore.

Sa croissance a été si soudaine que nous avons du mal à en mesurer aisément l’incidence profonde sur nos pratiques, à l’échelle individuelle, mais surtout à l’échelle mondiale :

Pour Boris Beaude : « Internet a à peine plus de trente ans et il est sur le point de disparaître ».

Pourquoi ?

« Parce que Les États tentent de réintroduire des frontières à Internet. Parce que la liberté d’expression est de plus en plus encadrée, l’anonymat devenant impossible dans certains pays ».

« Parce qu’en maîtrisant l’accès aux infrastructures et à de très nombreux terminaux de communication, les États-Unis et dans une moindre mesure le Royaume-Uni, la France et la Chine, disposent virtuellement d’informations d’une rare précision sur les communications, les relations, les lectures et la localisation de centaines de millions de personnes ».

Nous assisterions chaque jour un peu plus au dévoiement des idéaux des « (jeunes !) Pères fondateurs » : Ainsi au lieu d’abolir l’espace, Internet vient y interférer en créant des territoires disparates, et augmentant la fracture compte tenu des inégalités quant à l’accès à la qualité de la connexion.

Pour Boris Beaude, les présupposés de l’intelligence collective sont mis à mal, à l’exemple de Wikipedia, qui loin des buts initiaux, pâtit du professionnalisme de certaines personnes ou instances qui ont des intérêts précis à intervenir sur les contenus.

Fait plus important encre, la généralisation de la gratuité, qui devait garantir un accès et une liberté d’usage considérables, conduit au contraire à la concentration des pouvoirs entre quelques entreprises qui l’utilisent comme un moyen de satisfaire leurs ambitions commerciales. Le potentiel de l’intelligence collective est ainsi détourné à des fins particulières et commerciales.

Créé comme un espace de liberté jamais envisagé jusque-là, Internet est devenu le lieu de la surveillance, de la censure, et des atteintes de plus en plus fréquentes à la liberté d’expression.

La liberté d’expression est au cœur de l’organisation collective et du « contrat social ».

Ceci met surtout en évidence  les revendications contradictoires auxquelles Internet doit faire face, et les disparités des valeurs en cours dans le monde.

Pour B. Beaude, « un espace commun à l’humanité ne suffit pas à créer des valeurs communes ».

A ce propos, l’affaire Snowden est particulièrement éclairante.

Edward Snowden, incarne  pour certains le héros, le sauveur de la démocratie, mais pour d’autres, le traître et un irresponsable : ceci démontre la diversité des conceptions de la liberté d’expression.

Plusieurs interrogations posées par Beaude :

ð Comment Internet peut-il décider pour le Monde de ce qui convient,sans imposer les valeurs d’une société particulière ?

ð Comment peut-il s’adapter à un environnement international d’une complexité considérable ?

Et B. Beaude d’indiquer : « Trop longtemps, nous avons sous-estimé la capacité d’internet à changer les sociétés, mais aussi la capacité des sociétés à changer internet ».

Pour sauver Internet, l’auteur appelle à lui forger une nouvelle valeur, celle de porter « l’émergence du monde comme horizon politique pertinent pour l’humanité, comme espace d’identification et de projection autour d’intérêts communs ».

Ceci peut certes paraître utopique ? On assiste en effet plutôt à une tendance inverse, au protectionnisme et à la montée des nationalismes.

« Ce dont le monde a besoin, c’est d’un débat politique majeur sur l’avenir de ce qui constitue probablement le seul lieu que l’humanité ait en commun. Sans aucun doute, il va falloir choisir entre la fin d’internet ou la mondialisation de la politique »

Sinon, les intérêts particuliers finiront par dominer Internet et conduire à son déclin. Jusqu’à sa disparition ?

Il est difficile d’imaginer désormais un monde sans Internet. Il est donc  temps de se poser les bonnes questions.